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Dinamo — Etoile Rouge : le jour où Croates et Serbes se sont déclarés la guerre

Trois semaines avant le début de la Coupe du monde 1990, de vio­lents affron­te­ments écla­tent, dans un stade de foot­ball, entre les sup­port­ers du Dinamo Zagreb et ceux de l’Etoile rouge de Bel­grade. Cette fois, c’est sûr : guerre civile attend la Yougoslavie.

4 mai 1980. Josip Broz Tito décède à Ljubl­jana, en Slovénie. A 300 kilo­mètres de là, en Croat­ie, le Haj­duk Split reçoit l’Etoile Rouge de Bel­grade. Un choc au som­met du cham­pi­onnat yougoslave. La nou­velle de la mort du maréchal se répand dans tout le stade. La ren­con­tre est inter­rompue. Joueurs, entraîneurs et arbi­tres se rassem­blent au cen­tre du ter­rain. Croates et Serbes se recueil­lent ensem­ble, en larmes. Puis le pub­lic entonne des chants à la gloire de leur leader disparu.

Dix ans plus tard, le 13 mai 1990, c’est l’autre grand club croate, le Dinamo Zagreb, qui accueille l’Etoile rouge. Une ren­con­tre que per­son­ne n’a oubliée, ni en Ser­bie, ni en Croat­ie. « Rien ne serait plus pareil après », tranche Ivi­ca Osim, le sélec­tion­neur yougoslave. Le 4 mai 1980, la Yougoslavie affichait son unité. Ce 13 mai 1990 met à jour les haines récipro­ques qui gan­grè­nent la République fédéra­tive après dix ans de poussées nationalistes.

« On attendait qu’une bombe éclate.
Elle a éclaté à Zagreb »

Six jours plus tôt, les pre­mières élec­tions libres ont vu le nation­al­iste Fran­jo Tuđ­man accéder au pou­voir en Croat­ie. Les autorités s’attendent à un match sous haute ten­sion. 3000 sup­port­ers serbes font le déplace­ment au Stade Mak­simir de Zagreb. Les ultras de l’Etoile rouge, les Deli­je, sont à la botte de Slo­bo­dan Milo­se­vic. Ils sont dirigés par Željko Raž­na­tović, plus con­nu sous le nom d’Arkan – qui n’est pas au stade ce jour-là. Il dirig­era les sin­istres Tigres, la plus vio­lente des mil­ices para­mil­i­taires serbes pen­dant les guer­res de Croat­ie et de Bosnie-Herzé­govine. Accusé de crimes con­tre l’hu­man­ité par le Tri­bunal pénal inter­na­tion­al pour l’ex Yougoslavie (TPIY), il est assas­s­iné à Bel­grade en 2000, avant le début de son procès. En face, les Bad Blue Boys du Dinamo prêchent pour l’indépendance de la Croat­ie… Ils seront dans les pre­miers à se porter volon­taires pour inté­gr­er la jeune armée croate.
La ren­con­tre n’aura jamais l’occasion de débuter.

Dans les tri­bunes, les Deli­je sacca­gent tout ce qu’ils peu­vent. Les sièges arrachés sont jetés en direc­tion des Bad Blue Boys. Ils sont accom­pa­g­nés de chants nation­al­istes appelant, entre autres, à la mort de Tuđ­man. La police n’intervient pas. Les Serbes détru­isent les gril­lages qui les sépar­ent des Croates. De vio­lents affron­te­ments écla­tent. L’émeute s’étend à la pelouse du Mak­simir. Les forces de police char­gent alors les fans croates. Sur le ter­rain, les joueurs sont ren­trés au ves­ti­aire. Il n’en reste que quelques uns du Dinamo, dont Zvon­imir Boban. Le jeune cap­i­taine de 21 ans va devenir une légende chez les nation­al­istes croates pour son vio­lent coup de pied asséné à un polici­er en train de s’en pren­dre à un sup­port­er du Dinamo. Les inci­dents, qui durent plus d’une heure, ont fait plus de soix­ante-dix blessés. Aucun mort. Un miracle.

« C’était une guerre dans un stade de foot »

Les con­séquences de ce match sont désas­treuses pour la Yougoslavie. Sur le plan sportif, prob­a­ble­ment le plus anec­do­tique, Boban, l’un des plus grands espoirs du foot­ball yougoslave, sera sus­pendu six mois et man­quera la Coupe du monde en Ital­ie. Mais surtout, un match de foot­ball ren­voie au vis­age de toute une nation ce qu’elle est dev­enue. Vladimir Novak, jour­nal­iste sportif serbe, certifie:

« C’est un événe­ment qui a con­tribué à met­tre le feu aux poudres. C’était le signe que le pays allait s’effondrer. Con­crète­ment, ce match, c’était une guerre dans un stade de foot. »

Faruk Hadžibegić, alors cap­i­taine de la sélec­tion yougoslave, ne mesure pas l’impact poli­tique de ce match.

« On a regardé ça plutôt comme un acci­dent qui peut arriv­er dans n’importe quel stade au monde On était plutôt sur­pris par la réac­tion de Boban qui était, pour nous, un joueur excep­tion­nel, un gars adorable. »

Ivi­ca Osim, le sélec­tion­neur yougoslave, fait immé­di­ate­ment fi du con­texte sportif. « Nous n’avions pas seule­ment per­du Boban, assure-t-il. Nous avions per­du beau­coup d’atmosphère (sic). » Ce 13 mai 1990 a d’ailleurs été classé par CNN comme l’un des cinq match­es qui ont changé le monde.

A en croire Loïc Tre­goures, uni­ver­si­taire spé­cial­iste du foot­ball dans les Balka­ns, le scé­nario du 13 mai 1990 était prévisible :

« Dans un con­texte de ten­sions eth­niques, les rival­ités entre clubs sont exac­er­bées parce que le stade est un endroit prop­ice à l’ex­pres­sion d’un nation­al­isme forcené et débridé. »

Osim renchérit :

« On attendait qu’une bombe éclate. Elle a éclaté à Zagreb. La guerre avait surtout lieu entre Serbes et Croates. Il était donc nor­mal qu’un con­flit éclate entre le meilleur club de chaque pays. Il fal­lait s’y attendre. »

« Ce match a fait l’ob­jet d’un traite­ment hys­térique par la presse de chaque république, insiste Tre­goures. Il a ali­men­té beau­coup de ten­sions, libéré la parole des deux côtés et favorisé les dis­cours extrémistes. » Au point que Boban, avouera plus tard : « Et j’étais là, un per­son­nage pub­lic prêt à ris­quer sa vie, sa car­rière, et tout ce que la célébrité aurait pu lui apporter à cause d’un idéal, d’une cause : la cause croate. »

Rédac­tion : Paul Giudici
Enquête : Paul Giu­di­ci et Nick Carvalho
(Encadrement : CR et SR)