La communauté rom est indésirable à Belgrade depuis dix ans. Après une première vague d’expulsions massives, la mairie expulsé méthodiquement les Roms du centre-ville et se contente de les enliser dans les bidonvilles ou des préfabriqués. Reportage.
« Je n’avais aucun ami, personne ne voulait s’asseoir à côté de moi, car je suis Rom ». Emran, 24 ans, père de deux enfants, est le seul de sa famille à être allé à l’école. Pourtant, comme tous les siens, il subit des discriminations continuelles. Sa fille aînée, âgée de deux ans, connaît déjà le même sort à la crèche. En parcourant le bidonville de Bežanijska Kosa, au bout de Novi Beograd (“le nouveau Belgrade”), il confie : « Je ne trouve aucun travail et l’aide de 100 euros par mois donnée par l’Etat ne suffit pas ». Pour nourrir sa famille, il ramasse du plastique, du verre et des cartons dans les poubelles du centre-ville de Belgrade. « 15 dinars (0,15 euros) pour un kilo ! », maugrée-t-il en traînant les pieds sur le chemin de terre jonché de détritus et de bout de tôles. « J’ai peur de rentrer, peur de ne pas retrouver ma famille quand je m’absente ». Sa mère, opérée il y a peu, n’arrive pas à payer son traitement. Venue du Kosovo, elle habite ici depuis 50 ans et ne retient qu’une chose : elle vit toujours dans un taudis.
Emran n’est pas un cas isolé. Comme 150.000 personnes environ, selon les dernières estimations du conseil national de la minorité rom de Serbie, il sait qu’il n’a plus doit de cité dans sa ville. Les expulsions massives de Roms à Belgrade ont débuté en 2005. Dix ans plus tard, la mairie applique toujours une stricte stratégie de mise à l’écart. En 2009, elle avait frappé un grand coup pour chasser les Roms qui la gênaient au sein de la ville. Ils faisaient « tâche » au milieu des nouvelles constructions en vue des Jeux Olympiques universitaires. Ils sont aujourd’hui toujours dans les bidonvilles ou des préfabriqués. Peu ont été accueillis dans les logements sociaux prévus par les financements européens.
95% des Serbes affirment ne pas vouloir vivre aux côtés des Roms selon le Conseil national de ma minorité Rom. En décembre, le mouvement ultra-nationaliste Srbska akcija (« L’action serbe »), a distribué des milliers de tracts anti-Roms dans des boîtes aux lettres de Belgrade. Ils disaient :
« Les Roms vont venir de plus en plus nombreux et tout saccager. Vous serez obligés de vendre votre maison, et ce, à un prix dérisoire ».
L’un des chefs de l’organisation, dont seules les initiales F.G. ont été dévoilées, attend son jugement. « Toute une structure est derrière tout cela, c’est évident, clame Živojin Mitrović, vice-président du Conseil national de la minorité Rom de Serbie, mais la police ne cherche pas plus loin. »
Aujourd’hui, finies les opérations coups de poings. Les Roms sont victimes au quotidien d’une discrimination silencieuse. Živojin Mitrović confie par exemple que peu de gens laissent leur place aux femmes enceintes de la communauté dans les transports en commun. « Ils ne veulent pas s’assoir à côté de nos peaux foncées et sales ».
La situation est pire encore pour les Roms du Kosovo, qui sont officiellement 23.000 à Belgrade. La plupart d’entre eux sont arrivés au moment de la guerre, en 1999. Victimes collatérales de l’affrontement serbo-kosovar, ils ont dû fuir précipitamment, souvent sans leurs papiers, perdus ou détruits. Et impossible de régulariser leur situation sans avoir leur acte de naissance. Seul progrès, la loi votée en 2012, qui permet aux enfants nés de parents sans papier d’être reconnus.
En 2005, les grands projets de rénovation urbaine de la capitale ont signé le début des expulsions massives de campements roms. Celle de Belvil (référence au quartier parisien), la dernière à ce jour, date de 2012. « Nous savons qu’il y en aura d’autres, la seule question est quand », explique Danilo Ćurčić, conseiller juridique au sein de l’ONG de défense des Roms Yucom. Plus de 1000 personnes avaient été évacuées, autant qu’à Gazela, autre camp géant démantelé en 2009 pendant la rénovation du pont du même nom.
Les Roms victimes de viols collectifs et de pédophilie dans les bidonvilles
Borka Vasić, une pétillante sexagénaire, a été victime de ces expulsions. Elle s’était retrouvée dans un bidonville après avoir quitté son domicile pour échapper à un mari violent.
« J’ai dû être hospitalisée à cause des coups que j’avais reçus. Quand je suis sortie, l’assistante sociale m’a dit qu’elle n’avait pas de logement pour moi, que je pouvais aller avec ceux qui me ressemblent, sous le pont ».
Borka a commencé à vendre des chaussettes pour survivre tant bien que mal, puis elle s’est engagée auprès d’ONG Roms et féministes, avec l’objectif de dénoncer les mauvais traitements infligés aux gens de sa communauté.
« Un régime de terreur régnait dans le camp de Gazela », confie-t-elle. Miroslav Mišković, l’oligarque le plus riche de Serbie, contrôlait le quartier avec le soutien de la mairie et de la police. Il y avait placé l’un de ses hommes, Enver Kovači, un Rom venu du Kosovo. « Il ne vivait pas dans le camp, il venait avec sa grosse voiture mettre la pression sur les habitants », poursuit Borka. Enver Kovači a commencé à donner de l’argent à des familles pour qu’elles partent. « Ça ne s’est pas arrêté avec la vague de 2009, fulmine Borka, le regard noir. Les viols collectifs, les actes de pédophilie, la prostitution forcée sont devenues monnaie courante. » Personne n’osait se plaindre, de crainte qu’un de ses enfants ne soit tué. La peur tétanisait les Roms. Quand Borka a réussi à persuader quelques femmes de porter plainte, « la police nous a simplement répondu qu’elle savait très bien ce qu’il se passait dans les camps, mais qu’elle ne ferait rien. » De fait, aucune enquête n’a jamais été ouverte.
Après des années de lutte, Borka a obtenu, le 25 décembre 2014, un logement social. Elle habite dans une résidence du quartier de Mirjevo, à la périphérie de Belgrade. Des petits Roms jouent à côté, sur un terrain de foot improvisé. « Ils ne m’ont fourni que deux lits et le poêle », explique-t-elle, en entrant dans son trois pièces. « Pour un meublé c’est peu, l’administration s’est surement servie », ajoute-t-elle avant de souligner la piètre qualité des matériaux. La construction de chaque logement a coûté entre 25 et 30.000 euros et le loyer mensuel s’établit à 9 euros sans les charges. Elle reconnait tout de même sa chance.
Quand l’argent de l’Union européenne disparaît
Après les expulsions des bidonvilles, la majorité des Roms ont été parqués dans de minuscules préfabriqués. Une seule pièce pour cinq personnes, deux pièces s’ils sont plus. Un luxe. Les conditions d’hygiène ne respectent aucune norme, mais « impossible de fermer ces camps car les Roms se retrouveraient à la rue », déplore Danilo Ćurčić de Yucom. Comme leur logement est trop petit, les familles sont obligées de faire la cuisine dehors. Les Roms sont là depuis des années. La situation stagne, les familles attendent avec désespoir qu’un logement social leur soit proposé. « Les institutions ne font aucun effort, on nous répète sans cesse que c’est provisoire », continue Danilo Ćurčić.
Pour être relogés dans ces préfabriqués, les Roms, souvent analphabètes, doivent signer un formulaire. Les conditions sont claires : respecter l’administration, emmener ses enfants à l’école ou encore faire le ménage dans son préfabriqué. « Il y a quelques années, les autorités écrivaient même qu’il fallait être poli sous peine d’être expulsé, dénonce le conseiller juridique de Yucom. Les ONG ont réagi. La mairie a changé la formulation, mais le contrat reste le même dans le fond ».
« J’ai perdu mon travail à cause de ce contrat », gronde Živojin Mitrović, vice-président du Conseil national de la minorité Rom de Serbie. « Je travaillais à la mairie et j’ai trop fait comprendre à l’administration la stupidité de ce projet ». Hormis la construction de 600 appartements, la ville de Belgrade ne fait rien pour les Roms. Officiellement parce qu’elle n’a pas d’argent. Pourtant, l’Union européenne avait proposé une aide 3,6 millions d’euros en 2012, que la mairie aurait décliné, selon Praxis et Yucom. Aucune ONG n’a su expliquer cette décision. Quant à la municipalité actuelle, elle n’a pas donné suite à nos questions. La Serbie est pourtant l’un des pays des Balkans qui investit le plus pour l’intégration de la communauté, assure le Conseil national de la minorité Rom. « Un projet sur l’emploi a été lancé en 2009, explique Marijana Luković de l’ONG Praxis, mais il n’y a aucun résultat probant ».
Il y aurait 650 campements illégaux en Serbie dont une centaine à Belgrade. Peu de chances qu’ils disparaissent à court terme : les aides allouées par les bailleurs internationaux s’évaporent mystérieusement. « Il y a bien une carte des terrains qui accueilleront les logements sociaux, explique Danilo Ćurčić de l’ONG Yucom. Sauf que sur les 150 terrains proposés, ils se sont rendus compte, une fois les projets lancés, que la majorité n’étaient pas constructibles. »
Les familles, lasses d’attendre, disparaissent. Cela arrive aussi aux logement sociaux ! En 2013, la mairie aurait revendu 80 logements destinés aux Roms et financés par la BCE. En réalité, la l’administration municipale fait tout pour cacher la minorité Rom. « Les expulsions, ça sert surtout à améliorer l’image de la ville, lâche Živojin Mitrović, dégoûté. Sinon, ils ne relègueraient pas les nôtres au fin fond des banlieues ». À Belgrade, c’est sûr, personne ne veut vivre avec les Roms.
Rédaction: Clémentine Billé
Reportage : Clémentine Billé et Blandine Garot
(Encadrement: CR, SR et LG)