Société

Apprendre le français plus que l’allemand, un pari sur l’avenir en Serbie

Elle était la langue du passé, les Serbes mis­ent aujourd’hui sur son futur. Même s’il ne provoque plus le même engoue­ment, le français n’a pour autant pas fini de séduire le peu­ple serbe.

« Quoi ? T’es pas allé voir Stro­mae au fes­ti­val l’année dernière ? Moi je con­nais au moins cinq chan­sons de lui !» Yas­na s’exclame en souri­ant à un de ses cama­rades. Elle n’aurait man­qué pour rien au monde la venue du célèbre chanteur fran­coph­o­ne l’an dernier au fes­ti­val Exit de Bel­grade. La jeune fille de 24 ans raf­fole de la France. Elle étudie les math­é­ma­tiques à l’université de Bel­grade et se rend deux soirs par semaine à l’Institut français, en plein cœur de la cap­i­tale, pour y suiv­re des cours. Assis en arc de cer­cle dans une petite salle de classe, ses cama­rades, tout sourire, la rejoignent. Ils réser­vent eux aus­si une par­tie de leur temps libre à l’apprentissage de la gram­maire, du vocab­u­laire et de la con­ju­gai­son… Et tout ça par plaisir d’apprendre. Sou­vent issus d’un milieu aisé, qu’ils soient den­tiste, design­er, infor­mati­cien, ou lycéen, ils parta­gent un même amour : la langue française. La majorité des élèves est presque éton­née de devoir jus­ti­fi­er son choix. Le français, c’est « beau » et c’est « chic ».

L’institut de français en plein centre de Belgrade côtoie un restaurant français. Dans n’importe quel café de la ville,  chansons de Stromae, Zaz ou Indila résonnent dans les salles.
L’institut de français en plein cen­tre de Bel­grade côtoie un restau­rant français. Dans n’importe quel café de la ville, les chan­sons de Stro­mae, Zaz ou Indi­la réson­nent dans les salles.

Pour­tant, l’apprentissage du français en Ser­bie a con­nu des jours meilleurs. Selon Fab­rice Peu­tot, mem­bre de l’Institut et attaché de coopéra­tion pour le Français, la fran­coph­o­nie s’essouffle depuis quelques années en Serbie :

« Le développe­ment de la fran­coph­o­nie a d’abord béné­fi­cié de la réforme de 2007 qui a instau­ré l’apprentissage oblig­a­toire de deux langues étrangères en Ser­bie. Entre 2007 et 2010, le nom­bre d’apprenants en français a été mul­ti­plié par deux ! »

Jusqu’en 2012, le français est la deux­ième langue vivante apprise à l’école avant l’allemand. Or, aujourd’hui, le rap­port de force a changé. C’est désor­mais vers l’allemand que penche la bal­ance. L’Allemagne riche et puis­sante recrute et fait briller les yeux des Serbes… Mais plus pour longtemps.

« L’amour pour la France n’est pas le même que celui pour l’Allemagne »

Le français n’a pas per­du son aura d’antan. Les enfants sont tou­jours plus nom­breux dans les couloirs de l’institut. Le directeur des cours, Igor Stepanovic, pense que la ruée vers l’allemand est un effet de mode. L’Allemagne embauche dans le milieu hos­pi­tal­ier ou dans la restau­ra­tion. Elle le fait savoir. Pour les Serbes, c’est le moment prop­ice pour y trou­ver du tra­vail. Mais ils craig­nent aus­si que, dans quelques années, les portes se refer­ment à nou­veau. « Les Serbes ont de plus en plus ten­dance à inscrire leurs enfants à des cours de français dès le plus jeune âge car le français reste une langue de con­fi­ance», explique Igor. Quand Berlin ne recrutera plus, seul Paris sera encore là pour les accueil­lir. Mal­gré la ran­cune d’après 1999, le lien qui unit les Serbes à la France reste inde­struc­tible. « L’amour pour la France n’est pas le même que celui pour l’Allemagne ».

Dans le cours d’histoire de l’art d’Aleksandra Drl­je­vic, la France, ce n’est « pas que la bonne bouffe ». L’enseignante aux cheveux brushin­gués, vêtue d’une robe près du corps, a tout de l’élégance française. Son objec­tif : faire décou­vrir à ses élèves l’art français à tra­vers des cours ludiques et des vis­ites au musée. « L’an dernier, nous avons eu la chance de recevoir Cather­ine Deneuve à Bel­grade ! Elle s’y con­naît en impres­sion­nisme ! » La pas­sion brille dans les yeux d’Alksandra.

Der­rière un tableau du pein­tre français de Toulouse Lautrec, les élèves d’Alexandra Drl­je­vic, férus de cul­ture française, posent.

Yas­na, elle, rêve de faire par­tie des heureux lau­réats de la bourse offerte par l’institut aux étu­di­ants qui veu­lent s’envoler pour la patrie de Molière l’an prochain. « J’aimerais aller à Paris IX ou Paris XI parce que ce sont de bonnes uni­ver­sités pour étudi­er les math­é­ma­tiques », explique-t-elle. Des cen­taines d’autres jeunes Serbes envis­agent leur avenir en dehors de la Ser­bie. La France est une terre d’accueil qui séduit. Il y a deux semaines, à la fron­tière du Koso­vo, Fab­rice Peu­tot a ren­con­tré des lycéens serbes francophones:

« Au lieu de me par­ler foot et musique, comme tous les jeunes, il m’ont posé plein de ques­tions pra­tiques sur la France.  Com­ment peut-on y aller ? Quels droits aurons nous là-bas ? Com­ment peut-on avoir une bourse ? J’ai été très étonné ».

Mal­gré l’engouement, les caiss­es sont vides. Fab­rice Peu­tot a l’air abattu :

« Il n’y a pas assez de livres et de matériels. Les bud­gets sont gelés. C’est frus­trant. Seule une quar­an­taine de bours­es sont attribuées chaque année pour les étu­di­ants can­di­dats au départ en France ».

La coopéra­tion entre les uni­ver­sités est aus­si par­ti­c­ulière­ment dif­fi­cile. Les démarch­es admin­is­tra­tives serbes sont retors­es et l’évaluation des étu­di­ants est trop dif­férente de celle pra­tiquée en Europe. De nom­breux jeunes ne peu­vent pas con­stru­ire l’avenir dont ils rêvent. Il existe 175 accords de coopéra­tion signés entre les deux pays. On ne peut même pas compter sur le quart d’entre eux. Le français, une langue d’avenir en Ser­bie… mais à con­juguer au conditionnel.

Le français, troisième langue étrangère de Serbie

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Rédac­tion et réal­i­sa­tion : Marie Haynes
Reportage: Marie Haynes et Clé­mence Guinard
(Encadrement: CR)