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Aujourd’hui, personne (ou presque) ne regrette le football yougoslave

Seule une minorité d’anciens Yougoslaves regret­tent l’ère d’un foot­ball réu­nis­sant les six pays qui com­po­saient, il y a vingt-cinq ans, la Yougoslavie.

Le ton est résigné. Le phrasé, sac­cadé. « Nous ne méri­tions pas ça. » Le sélec­tion­neur de la Yougoslavie, élim­inée en quart de finale de la Coupe du monde 1990, regrette une époque où le pays était uni. « Oui, je suis nos­tal­gique, avoue-t-il vingt-trois ans après le démem­bre­ment d’une nation qui lui reste chère. Nous avions un bon cham­pi­onnat, sans doute l’un des meilleurs en Europe. » Le sep­tu­agé­naire appar­tient à cette minorité de Serbes, Croates ou Bosniens encore épris d’un foot­ball yougoslave soudé, entre sincère mélan­col­ie et oppor­tunisme sportif.

« Un des meilleurs d’Europe »

Loin des Balka­ns, Faruk Hadžibegić, reste attaché à ce pays qui l’a vu naître. « Je me sens Yougoslave, mais aujourd’hui, je suis Bosnien parce que ma nation n’existe plus, déplore-t-il, instal­lé à la table d’un tro­quet parisien. Voir mon pays dis­paraître est une plaie avec laque­lle je vais mourir. » A l’image de son ancien sélec­tion­neur, le cap­i­taine de l’équipe yougoslave 1990 est nos­tal­gique. Le foot­ball a peut-être offert à la Fédéra­tion social­iste son dernier moment de joie col­lec­tive. Cette sélec­tion, com­posée de joueurs issus des six républiques, comp­tait alors dans ses rangs des tech­ni­ciens aus­si réputés que le Bosni­aque Safet Sušić, le Mon­téné­grin Dejan Sav­iće­vić ou le Serbe Dra­gan Stojković.

« En Yougoslavie, nous avions qua­tre à cinq grands matchs lors de chaque journée de cham­pi­onnat, plas­tronne Hadžibegić. C’était ce qui se fai­sait de mieux à l’époque. » Jusqu’en 1992, la ligue yougoslave réu­nis­sait de nom­breux clubs recon­nus dans toute l’Europe : Étoile rouge de Bel­grade et Par­ti­zan Bel­grade en Ser­bie, Dinamo Zagreb et Haj­duk Split en Croat­ie ou encore Žel­jezničar Sara­je­vo en Bosnie-Herze­govine. Ivi­ca Osim, lui, met en avant la pro­fes­sion­nal­i­sa­tion du cham­pi­onnat yougoslave de la fin des années 1980. « Il com­mençait à y avoir de l’argent, comme dans les plus grands cham­pi­onnats d’Europe. » En 1991, l’Etoile rouge de Bel­grade rem­porte la pres­tigieuse Coupe des clubs cham­pi­ons, la plus grande com­péti­tion de clubs au niveau européen, aux dépens de l’Olympique de Mar­seille (0–0, 5–3 aux tab). Le plus grand suc­cès du foot­ball yougoslave.

Le palmarès du football yougoslave
Le pal­marès du foot­ball yougoslave

« Les Serbes sont contents quand la Croatie perd,
et vice-versa »

Aujourd’hui, des ini­tia­tives fleuris­sent pour com­mé­mor­er ce glo­rieux passé. Ex-Yu Fud­bal est un site Inter­net dédié au foot­ball yougoslave. Out­re des sta­tis­tiques détail­lées sur les anci­ennes com­péti­tions, on y trou­ve pho­tos et coupures de presse de l’époque. « C’est l’évocation de temps plus beaux et meilleurs, quand tous les Yougoslaves res­pi­raient comme un seul homme, quand le foot­ball était la seule nation­al­ité pour oubli­er un présent dif­fi­cile », racon­te l’un des fon­da­teurs, inter­rogé par Footballski.fr. Nous savons bien enten­du que tout cela n’est qu’une illu­sion. Ne nous lais­sons pas bercer par la per­spec­tive d’une nou­velle Yougoslavie, notre espoir va vers des ligues com­munes à l’image de ce qui existe en basket-ball. »

En foot­ball, la « yougonos­tal­gie » doit être rel­a­tivisée. « On trou­ve des nos­tal­giques en Ser­bie et Croat­ie, pré­cise Vladimir Novak, jour­nal­iste sportif serbe, mais l’animosité domine tou­jours. Les Serbes sont con­tents quand la Croat­ie perd, et vice-ver­sa. Lors du match Croat­ie-Mex­ique (1–3) de la Coupe du monde 2014, j’ai lu sur Face­book de nom­breux com­men­taires d’amis serbes appelant à la vic­toire des Mex­i­cains et insul­tant les Croates. »

Un timbre célébrant le titre de champion d'Europe de l'Etoile rouge de Belgrade
Un tim­bre célébrant le titre de cham­pi­on d’Eu­rope de l’E­toile rouge de Belgrade

A l’image d’Osim et Hadžibegić, la nos­tal­gie du foot­ball yougoslave con­cerne seule­ment des per­son­nes ayant con­nu cette nation dis­parue. « La jeune généra­tion a enten­du par­ler de la sélec­tion yougoslave, via Youtube notam­ment, développe Novak. Les jeunes Serbes savent par exem­ple que Sto­jković a inscrit deux buts con­tre l’Espagne en huitième de finale de la Coupe du monde 1990 (1–2 a.p.) ou que l’Etoile rouge de Bel­grade a été cham­pi­onne d’Europe. Seule­ment, ils n’ont pas de lien affec­tif avec ce foot­ball. » Alek­san­dar, étu­di­ant serbe de 23 ans en physique-chimie, appar­tient juste­ment à cette généra­tion. « C’est logique que je ne sois pas attaché au foot­ball yougoslave, pré­cise ce sup­port­er du Par­ti­zan Bel­grade. Il ne s’agit pas de mon pays. »

Des clubs à la dérive depuis la fin de la Yougoslavie

Aujourd’hui, les clubs de l’ex-Yougoslavie ne retrou­vent plus leur lus­tre d’antan. Cette sai­son, par exem­ple, seul le NK Mari­bor représen­tait l’ex-Yougoslavie lors de la phase finale de la Ligue des cham­pi­ons. Le club slovène a fini dernier de sa poule. Pour trou­ver une équipe de l’ancienne fédéra­tion social­iste qui a passé la phase de groupes de cette même com­péti­tion, il faut remon­ter jusqu’à la sai­son 1994–1995. Les Croates du Haj­duk Split avaient alors atteint les quarts de finale.

Les équipes de l’ex-Yougoslavie ont pâti de la dis­lo­ca­tion de la nation. Au lieu d’un à l’époque titiste, on compte désor­mais sept cham­pi­onnats. La com­péti­tiv­ité, fac­teur de réus­site dans le foot­ball, a lais­sé place à des ligues com­posées d’une poignée, à peine, de clubs au niveau accept­able. Osim évoque d’autres raisons pour expli­quer cette déliques­cence. « Le foot­ball a énor­mé­ment pro­gressé, mais pas chez nous, déplore-t-il. Nous avons des prob­lèmes d’infrastructures, de stades. Pour retrou­ver notre foot­ball, il faudrait avoir, par exem­ple, de bons ter­rains. Les Balka­ns sont encore une excel­lente source de joueurs et doivent le rester.»

Sans titre
Une com­po­si­tion fic­tive de la Yougoslavie en 2015

De la nos­tal­gie au fan­tasme, il n’y a qu’un pas. « Si nous étions tous ensem­ble, nous auri­ons une belle équipe », rêve Hadžibegić. Aujourd’hui, on retrou­ve ain­si des Croates au FC Barcelone (Rak­i­tić) et au Real Madrid (Mod­rić), des Serbes à Chelsea (Ivanović et Matić) ou encore un Bosnien à Man­ches­ter City (Džeko). Aujourd’hui, une sélec­tion réu­nis­sant les meilleurs joueurs d’ex-Yougoslavie ferait fig­ure de sérieux out­sider. À cette idée, Hadžibegić reste réal­iste. « Il faut tourn­er la page », soupire-t-il. Et surtout, se con­tenter de ses pré­cieux souvenirs.

Rédac­tion : Nick Carvalho
Enquête : Paul Giu­di­ci et Nick Carvalho
(Encadrement : CR et SR)