Résignés, mais dévoués, les natifs de la ville misent sur la culture pour la ressusciter. Ils sont une dizaine à tout mettre en œuvre pour que Pančevo respire, renaisse et s’unifie, via une macédoine d’événements culturels.
« Pančevo, c’est votre Lille. Une ville qui a toujours été exclusivement industrielle, mais qui aujourd’hui se lance à corps perdu dans la culture». Aleksandar Zograf, de son vrai nom Saša Rakezić, est juché sur un tabouret, auréolé de ses dessins placardés au mur. Il raconte timidement son Pancevo, sa ville, son berceau et sa précieuse mine d’inspiration, passée et présente. Ses cheveux gris trahissent les années qui ont défilé depuis ses débuts dans le journalisme en 1980. À la force de son crayon charbonneux et de son trait agile, le dessinateur a acquis une renommée internationale depuis le journal quotidien qu’il a tenu durant les bombardements de l’OTAN en 1999.
« Zograf est l’un des artistes phares de Pančevo, et même de la Serbie toute entière » atteste Marija Samardžić, qui travaille pour le centre culturel de Pančevo. La jeune trentenaire aux lunettes écarlates ne cache pas son admiration pour le dessinateur, qui « agit énormément pour la vie culturelle de Pancevo ».
A l’initiative du Grrr ! International Comics Festival en 2002 à Pancevo, Aleksandar Zograf reconnaît : « Je ne pouvais pas dessiner la politique et la guerre toute ma vie, j’ai ressenti le besoin d’organiser, de mobiliser mon entourage ». Ce festival de BD s’est tenu pendant quatre ans dans la ville enfumée par la pollution industrielle dans des proportions dramatiques. Désormais, et depuis cinq ans, l’évènement s’est fondu dans le festival de bande-dessinée NOVO DOBA, qui une fois par an fait vibrer Pančevo pendant une semaine. La co-créatrice de ce projet, c’est Johanna Marcadé-Mot. Ses papiers sont français, mais son cœur balkanique. « Le festival est organisé autour de plusieurs évènements : des ateliers, des soirées qui s’enchaînent à Pančevo ou à Belgrade, autour d’artistes, de dessinateurs, ou d’auteurs (…) qui viennent rencontrer le public ». Un festival à la fois familial et engagé, notamment contre les nationalistes, la marchandisation des dessinateurs, ou l’homophobie. Et cinq jours par an, le film documentaire investit dans la ville, pour le Pančevo Film Festival. Ce dernier-né de la vague culturelle pančevačka, est un rassemblement autour de « films qui reprennent de vrais problèmes, des histoires de la vie de tous les jours » décrit Aleksandar Zograf.
« Nous avons une maison de la jeunesse, qui organise des concerts et des rencontres, un festival de jazz, une galerie d’art contemporain, des expositions », détaille Marija Samardžić. Le centre culturel de Pančevo est extrêmement impliqué dans la création et l’encadrement des évènements culturels de la ville. C’est le cœur névralgique de Pančevo, qui synchronise et rassemble. L’odeur d’amiante qui flotte dans les couloirs est la seule grisaille dans cet immeuble réaménagé en maison pour tous, cinéma et salle de concert.
La débrouille avant toute chose
« Pour moi il n’y a pas de nouvelle vague culturelle à Pancevo, seulement de nouvelles gens ! » déclare Slobodan Jovanovič, le directeur musical de Radio Pancevo, DJ quand ça lui chante. Cet énergumène quadragénaire décrit l’arrivée de jeunes d’ailleurs, dans une ville qui tend à trop s’uniformiser. « La culture de Pančevo se calque un peu trop sur Belgrade. Les choses ont vraiment changé depuis dix ans grâce à Internet, et surtout aux efforts individuels ». Et il y en a. Certes, la Mairie de Pančevo investit beaucoup dans la culture. Ce sont 1.800.000 dinars (environ 15.000 euros) des caisses de la ville qui vont directement dans le Pančevo Film Festival. « Et quasiment tout y est gratuit, explique Marija Samardžić. Nous sommes obligés de nous débrouiller pour la plupart des frais ». La débrouille, c’est la mobilisation du plus grand nombre de bénévoles possibles, ou encore l’hébergement des hôtes à la bonne franquette. « Mais c’est aussi la garantie d’une plus grande indépendance dans nos actions ! » assure la jeune femme.
Le challenge est de mobiliser, tout en attirant un public déjà préoccupé par ses propres soucis. Entre le chômage qui avoisine les 50%, l’air toujours contaminé et la hausse de la pauvreté, tout laisse à penser que le concert d’un jazzband pourrait tout bonnement passer à la trappe.
La fermeture de la Galerie Elektrika est le dernier raté en date. A l’origine plateforme d’exposition créée en 2007 pour des artistes en quête de visibilité, Elektrika a pris beaucoup d’ampleur à Pančevo. Elle est devenu une véritable galerie d’exposition en dur, très prisée des artistes et du public, Elektrika a fait venir des exposants, chanteurs, et des « monstres fous » comme les qualifie le co-fondateur Vladimir Palibrk, de Serbie et d’ailleurs. Toutes les petites mains sont bénévoles, et aucun artiste n’est rémunéré. Vladimir se souvient des quinze personnes qui oeuvraient pour la galerie, et du mélange de population qui venaient souvent y trouver refuge pour discuter, débattre et se lier. Un souvenir, car l’endroit a été fermé par la Mairie de Pančevo. « Clos à cause du processus de restitution, résume Vladimir. C’est-à-dire l’obligation de rendre certains lieux réquisitionnés par le gouvernement socialiste après la Seconde Guerre mondiale, aux descendants des propriétaires d’origine ». Après ce déménagement forcé, la galerie cherche à se reloger, en dégainant les rares dinars restants.
« L’emplacement géographique de Pančevo a beaucoup joué dans son ouverture d’esprit, explique Johanna Marcadé-Mot, la tête pensante du festival Novo Doba. La province de Voïvodine est extrêmement composite, avec une vingtaine de communautés tziganes différentes ». Pančevo est une ville qui brasse. Elle brasse les gens ; le poison, les idées ; la lucidité et la foi. Les habitants de Pančevo sont en quête de reconstruction, à la recherche d’un nouveau souffle pour leur cité qui se consume.« On vit normalement, on fait des barbecues, on mange et on boit », confesse Marija avec un sourire.
Stocker l’appréhension
De l’air, de la liberté, et surtout un endroit où stocker l’appréhension, la colère et l’amertume. Les Pančevacs veulent survivre dans cette cité polluée qui est la leur. « Pourquoi partirais-je ? Pour aller où et pour trouver quoi ? ». Ils sont attachés, par le cœur et la raison à leur bitume, leur campagne grise, jaune et décimée. « Nous sommes tous un peu des partisans, nous faisons le plus, avec le moins possible » reconnaît Aleksandar Zograf.
Café Voz, Pogon, un vieux cinéma transformé en club de house music, les mains grattant ses platines, Slobodan Jovanovič liste ses repères dans sa cité industrielle. Une ville tout ce qu’il y a de plus normal, avec un chouia de vie underground qui se transmet de bouche à oreilles. « S’il n’y avait pas eu Radio Pancevo, personne n’aurait entendu parler d’Elektrika, constate-t-il. De toute façon, on se fait quand même un peu baiser avec la culture en Serbie ». Personne ne se soucie vraiment de la culture, en Serbie. Pančevo connaît ça.
Rédaction : Andréane Meslard
Reportage : Andréane Meslard et Malo Tresca
(Encadrement : LG, JAD et CR)