Médias, Politique

BIRN, une goutte de liberté dans un océan médiatique muselé

Balkan Inves­tiga­tive Reporter Net­work est une ONG com­posée unique­ment de jour­nal­istes, qui ont pour objec­tif d’accompagner la tran­si­tion démoc­ra­tique dans les Balka­ns. L’antenne serbe, qui pub­lie en anglais et ne dépend pas de com­pag­nies privées serbes, fait fig­ure d’exception dans un paysage médi­a­tique muselé.

Au lende­main de la fête nationale serbe, le 18 févri­er, les locaux bel­gradois de BIRN (Balkan Inves­tiga­tive Rerporter Net­work) sont vides. Petar Sub­otin, directeur région­al, nous accueille accom­pa­g­né d’une seule jour­nal­iste. Dans le salon de la rédac­tion, il évoque les valeurs de cet organ­isme, créé il y a dix ans pour « accom­pa­g­n­er la tran­si­tion démoc­ra­tique dans les Balka­ns. » BIRN, c’est une organ­i­sa­tion non gou­verne­men­tale présente dans plus de six pays, forte de 15 sites web con­sultés dans 200 pays. En plus, ils four­nissent dif­férents ser­vices comme des for­ma­tions au jour­nal­isme d’investigation.

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Petar Sub­otin par­le du tra­vail d’enquête de ses col­lègues avec fierté. « Notre exis­tence repose sur la qual­ité de notre tra­vail jour­nal­is­tique. » Dans les bureaux serbes, une enquête en langue anglaise est pub­liée chaque mois sur le site Balkan Insight. Les qua­tre jour­nal­istes d’investigation tra­vail­lent sur cha­cune d’entre elle pen­dant trois à six mois. Un tra­vail de titan.

Leur but : « pro­mou­voir une bonne gou­ver­nance. » Ils ne nous don­nent pas plus d’explications, mais vu le con­texte poli­tique délétère et leurs pro­pos cri­tiques sur Alek­san­dar Vučić, on com­prend que le respect de la démoc­ra­tie et la trans­parence de l’Etat leur tien­nent à coeur. Pas facile dans un paysage médi­a­tique muselé par un « Pre­mier min­istre autori­taire et luna­tique. » BIRN a la chance d’être une ONG et d’être financé par des dona­tions, notam­ment de l’Union européenne. Pour Petar Sub­otin, cela garan­tit au jour­nal une indépen­dance finan­cière vis-à-vis du gou­verne­ment serbe, donc plus de lib­erté édi­to­ri­ale par rap­port à leurs con­frères locaux.

« Allez dire à ces menteurs qu’ils ont encore menti »

Cette indépen­dance énerve. Alek­san­dar Vucic l’a par­ti­c­ulière­ment fait com­pren­dre le mois dernier, en accu­sant publique­ment les jour­nal­istes de BIRN d’être « une mafia, des mer­ce­naires payés par l’Union européenne pour salir le gou­verne­ment. » Ils avaient dénon­cé l’opacité de con­trats signés entre la com­pag­nie publique EPS et deux com­pag­nies pour pom­per l’eau de la mine de Tamnava.

Alek­san­dar Vučić : « BIRN a reçu de l’ar­gent de Dav­en­port [le représen­tant de l’U­nion européenne en Ser­bie] et l’U­nion européenne pour cri­ti­quer le gouvernement »

 « Cette accu­sa­tion est le point cul­mi­nant d’une série d’attaques que l’on a subi tout le long de l’année », explique Petar Sub­otin. Cet été par exem­ple, ils ont dénon­cé un scan­dale lié à la pri­vati­sa­tion de la JAT, dev­enue Air Ser­bia après son rachat par la com­pag­nie émi­ratie Eti­had Air­ways en 2013, qui a fait grin­cer des dents le gouvernement.

La pres­sion est telle sur leurs con­frères, et les accu­sa­tions con­tre eux telle­ment grossières, que BIRN appelle à l’aide ses con­frères de tous les pays. Le 11 févri­er, une let­tre ouverte, adressée à plus de 30 organ­i­sa­tions inter­na­tionales défen­dant les droits de l’homme et groupes médi­a­tiques, était pub­liée sur le site serbe.

BIRN souhaite attirer votre attention. Le gouvernement mène des attaques systématiques contre les voix critiques, que ce soit celles d'organisations ou d'individus.
BIRN souhaite attir­er votre atten­tion. Le gou­verne­ment mène des attaques sys­té­ma­tiques con­tre les voix cri­tiques, que ce soit celles d’or­gan­i­sa­tions ou d’individus.

 

Pour Vukašin Obradović, Prési­dent de NUNS, l’association des jour­nal­istes indépen­dants, Alek­san­dar Vučić s’est attaqué à BIRN publique­ment afin de faire pass­er un mes­sage aux autres médias, ceux qui pour­raient être ten­tés de sor­tir de la ligne. Le Pre­mier min­istre n’aime pas qu’on le cri­tique. D’ailleurs, BIRN a pu compter ses sou­tiens sur les doigts de la main. Hormis le site d’investigation Pes­canik, la plu­part des médias serbes ont tu l’information, voire pris le par­ti de Vučić. Petar Sub­otin regrette que les autres jour­nal­istes serbes ne puis­sent pas les défendre. « C’est nor­mal, ils veu­lent con­serv­er leur emploi », con­cède-t-il défaitiste.

Pescanic a été le seul journal a soutenir publiquement BIRN. Politika a répliqué par une Une titrée « Je ne suis pas BIRN »
Pes­canic a été le seul jour­nal a soutenir publique­ment BIRN. Poli­ti­ka a répliqué par une Une titrée « Je ne suis pas BIRN »

Quand Petar Sub­otin évoque la sit­u­a­tion dif­fi­cile de ses con­frères dans le pays, il hoche la tête et soupire : « Bien sûr que ça me préoc­cupe”. “Il faut qu’on soit là les uns pour les autres », ajoute-t-il. Il n’a pour­tant aucune solu­tion à pro­pos­er. Alors avec d’autres organ­i­sa­tions, comme NUNS, ils ont créé un groupe d’échanges qui rassem­ble des jour­nal­istes de toute la Ser­bie. Il est prévu qu’ils se réu­nis­sent chaque mois pour réfléchir à des solu­tions. Le 12 févri­er, la pre­mière réu­nion a pu être suivi sous le hash­tag #oslo­bod­imedi­je (libérez les médias). Des jour­nal­istes de médias gou­verne­men­taux y par­ticipent, espérant voir leur sit­u­a­tion s’améliorer. BIRN est en con­flit avec les médias, pas avec les jour­nal­istes. Cer­tains d’entre eux sont même for­més au sein de l’académie de jour­nal­isme d’investigation de BIRN. 

Saša Mirković, secré­taire d’Etat à l’Information, fustige aus­si ce côté éli­tiste. Cet ancien jour­nal­iste, co-fon­da­teur de la chaîne B92, fustige l’hypocrisie de BIRN. Mais quand on l’interroge sur le rap­port du pre­mier min­istre avec le média, il s’emporte et nous reproche d’être rem­plis de préjugés occi­den­taux. « Vous n’avez qu’un son de cloche. Mais qui sont les mem­bres du jury qui attribue l’aide de l’Union européenne ? Et pourquoi ce média loin de la pop­u­la­tion serbe se sent obligé de cri­ti­quer le gou­verne­ment ? »

C’est ça en fait, la faib­lesse de BIRN. Son élitisme. La pop­u­la­tion serbe ne con­naît pas le jour­nal. Leurs con­frères jour­nal­istes se sen­tent loin d’eux. Leurs alertes réson­nent dans le vide. Si rien ne prou­ve que l’Union européenne les influ­ence directe­ment, ils sont claire­ment imprégnés d’une cul­ture occi­den­tale, à laque­lle ne s’identifient pas for­cé­ment les citoyens de la démoc­ra­tie nais­sante. Petar Sub­otin a étudié à l’Université du Texas puis à la Colum­bia Uni­ver­si­ty, à New York. « Le stan­dard jour­nal­is­tique de BIRN est élevé, on ne peut pas laiss­er n’importe qui pub­li­er en notre nom », clame-t-il. À la fin de notre entre­tien, il nous offre « Dig­ging Deep­er », un guide pour appren­dre à être d’aussi bons jour­nal­istes qu’eux.

Rédac­tion : Ingrid Falquy
Reportage : Ingrid Falquy, Raphaël Mail­lo­chon, Ilyes Ramdani
Encadrement : JAD, CR et SR