Le Blok 70 est le nom du marché aux puces chinois de Belgrade. Pour 100 dinars, on y trouve un peu de tout : ustensiles, fournitures, objets du quotidien. Ceci explique son succès auprès des Serbes. Mr Guo, propriétaire chinois d’un des multiples bazars du Blok, raconte son rapport à la Serbie.
Des assiettes en porcelaine, des jeux de cartes, des tranchoirs en bois… Des tas d’objets sont disposés en vrac sur des étals et étagères. Le bazar de Monsieur Guo est semblable aux nombreux autres du Blok 70, le buvljak chinois de Belgrade. Ce marché aux puces couvert est situé dans le Novi Beograd, le quartier d’affaires de la capitale serbe. Il est facile de s’y perdre, on y trouve de tout ; tout se ressemble dans ce dédale y compris les propriétaires des magasins, tous Chinois, et leurs clients, tous Serbes.
Mr Guo a la trentaine bien entamée, des cheveux courts et de grandes poches sous les yeux. Il est arrivé en Serbie en 2002. Il vient de la région du Zhejiang en Chine, « comme la plupart des travailleurs ici », raconte-t-il. Les habitants de cette province côtière au Sud de Shanghaï ont émigré vers la Serbie — et ailleurs dans le monde – pour des raisons essentiellement économiques.
« Les locaux avaient l’impression que les Chinois venaient leur piquer leur boulot. »
D’abord arrivé à Novi Pazar, non loin du Kosovo, dans le Sud du pays, Mr Guo s’est senti discriminé par la population locale musulmane. Il n’a pas subi de violences, ni de vandalisme, mais la présence des Chinois n’était pas vue d’un bon œil selon lui. « Les locaux avaient l’impression que les Chinois venaient leur piquer leur boulot, explique-t-il (…). Les Chinois mangent du porc, eux n’en mangent pas. » Malgré tout, il y est resté trois ans et demi. « La situation s’est améliorée vers la fin. Certains habitants sont même devenus des amis. » Entre-temps, sa fille est née là-bas.
« C’était mieux avant pour les affaires mais on restera tant qu’on le pourra. »
Mr Guo n’a pas eu de soucis quand il est arrivé à Belgrade. Au Blok 70, les Chinois emploient même des Serbes. Mais la situation économique est rude. « Près de 30% des Chinois d’ici sont partis ailleurs : au Chili, au Brésil… déplore le commerçant. C’était mieux avant pour les affaires mais on restera tant qu’on le pourra. »
C’est également le souhait de son garçon de huit ans. Il surprend à balbutier quelques mots dans la langue de Voltaire avec un air joueur : “Bonjour”, “pomme”, “pêche”… Il apprend le français à l’école publique serbe et le mandarin à la maison, comme en témoigne le livre de chinois qu’il tient à la main.
Le garçon souhaite devenir médecin. Le papa lui laisse le choix. Il voudrait qu’il aille à l’université mais si l’école ne lui plaît pas, il pourra reprendre l’affaire familiale. Pour autant, Mr Guo ne souhaite pas à tout prix s’assimiler à la société serbe. Son avenir dépendra essentiellement de la situation économique, confie-t-il. Par ailleurs, les enfants de Mr Guo, bien que nés en Serbie, n’ont pas la nationalité serbe. Le droit du sol n’existe pas dans ce pays.
« Ils n’ont pas d’instance représentative, témoigne Filip Nikolić, employé de la mairie du Novi Beograd. Les contacts avec l’administration serbe sont rares. On délivre dix, onze permis de travail par mois à des Chinois. On sait qu’il y a beaucoup plus de travailleurs, mais on laisse faire. On n’est pas dans un pays riche et beaucoup de Serbes vont chez eux car ce sont les seuls à vendre de tout à bas coût. »
« Ma femme et ma fille sont retournées en Chine pour les fêtes. Du coup, personne n’est à la maison pour faire la cuisine ! »
Pour le Nouvel An chinois, père et fils vont fermer plus tôt aujourd’hui. Ils vont en profiter pour se promener au centre commercial et aller au restaurant. « Ma femme et ma fille sont retournées en Chine pour les fêtes. Du coup, personne n’est à la maison pour faire la cuisine! », plaisante-t-il. Ici, pas de grands fastes pour fêter la nouvelle année. Pas de cérémonie religieuse avec offrandes chez eux, contrairement aux Chinois de France. Ni de défilés de lions et dragons avec tambours et pétards dans les rues. Seule la coutume des enveloppes rouges, porte-bonheur pour les enfants, semble subsister ici. À 15 heures, les commerçants commencent à remballer pour les quelques jours de congés qu’ils s’accordent dans l’année. Mr Guo et son fils regarderont le passage à l’année de la chèvre depuis leur poste de télévision.
Merci à Korana et Shane pour leur disponibilité et leur aide.
Rédaction : Kevin Tê
Reportage : Kevin Tê, Clément Lauer et Jean-Baptiste Menanteau
(Encadrement et corrections : CR et LG)