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Pourquoi la Serbie est un endroit-clé pour la Chine en Europe

La nou­velle route de la soie passera par la Ser­bie. C’est du moins la volon­té du gou­verne­ment chi­nois, qui investit mas­sive­ment dans les infra­struc­tures serbes. Une coopéra­tion économique qui prof­ite aux deux pays.

Un kilo­mètre et demi de long, vingt-neuf mètres de large, trois voies pour la cir­cu­la­tion des voitures et deux pour les pié­tons. Inau­guré en décem­bre dernier, le pont Miha­j­lo Pupin enjambe le Danube pour reli­er la munic­i­pal­ité de Zemun à la ville de Borča, en Ser­bie. Coût des opéra­tions : 260 mil­lions de dol­lars. Une somme impor­tante, mais le gou­verne­ment serbe et la ville de Bel­grade n’ont financé le pro­jet qu’à hau­teur de 15%. Le reste, c’est la République pop­u­laire de Chine, par l’intermédiaire de la banque chi­noise Exim, qui s’en est chargée. Cet investisse­ment n’a pas été réal­isé sans arrière-pen­sées pour le gou­verne­ment chi­nois. Il s’intéresse de près à la Ser­bie. « La Ser­bie, de par sa sit­u­a­tion géo­graphique, est une voie de tran­sit très impor­tante vers l’Union européenne, explique Pre­drag Bjelić, pro­fesseur d’économie à la fac­ulté de Bel­grade. La Chine voudrait créer un cor­ri­dor pour exporter ses marchan­dis­es à tra­vers l’Europe ». Le finance­ment du pont Miha­j­lo Pupin par l’Empire du milieu est loin d’être un cas isolé. A l’Est de Bel­grade, la réno­va­tion des deux cen­trales ther­miques de la ville de Kos­to­lac sera financée à 85% par la Chine. Le dernier pro­jet en date est sans doute le plus représen­tatif des inten­tions chi­nois­es. Lors du troisième som­met entre Pékin et les pays de l’Europe cen­trale et de l’Est, Chi­nois, Serbes et Hon­grois ont signé un mémoran­dum prévoy­ant la con­struc­tion de 370 kilo­mètres de chemin de fer entre Budapest et Bel­grade. « La Ser­bie, c’est une pièce du puz­zle », résume Pre­drag Bjelić.

« Une nouvelle route de la soie »

« La Chine a un intérêt stratégique à con­necter cette région de l’Europe, du port du Pirée, en Grèce, jusqu’à Budapest, en pas­sant par Bel­grade, pré­cise Dra­gana Mitro­vić, direc­trice du Cen­tre des études pour l’Asie et l’Extrême-Orient. C’est béné­fique à l’exportation des biens com­mer­ci­aux chi­nois, car moins cher, et plus rapi­de que de pass­er par le port de Rot­ter­dam, au Pays-Bas ». Depuis 2009, la Chine a investi plus de 1,6 mil­liard de dol­lars dans les infra­struc­tures serbes, essen­tielle­ment par l’intermédiaire de la banque Exim. « Out­re la voie mar­itime, la Chine souhaite aus­si ouvrir une “route de la soie” à tra­vers l’Asie cen­trale et l’Eu­rope de l’Est, décrypte D. Mitro­vić, et à terme, ces deux axes devraient se rejoin­dre à Budapest ».

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Respec­tive­ment de gauche à droite : Dra­gana Mitro­vić, direc­trice du Cen­tre des études pour l’Asie et l’Ex­trême-Ori­ent, Boži­dar Cerović et Pre­drag Bjelić, pro­fesseurs d’é­conomie à la fac­ulté de Belgrade.

« La Serbie n’aggrave pas son déficit »

La coopéra­tion entre la Chine et la Ser­bie est un échange gag­nant-gag­nant. Sur le papi­er, ça ne va pas de soi. Le gou­verne­ment chi­nois emploie essen­tielle­ment ses pro­pres entre­pris­es. La con­struc­tion du pont Miha­j­lo Pupin a par exem­ple été assurée par la société Chi­na Road and Bridge Cor­po­ra­tion (CRBC). « Mais les entre­pris­es serbes représen­taient 45% des forces mobil­isées, explique Dra­gana Mitro­vić. Elles sont sous-trai­tantes de ces pro­jets, ce qui créé de l’emploi ». La Ser­bie manque cru­elle­ment de devis­es. Dans ces cir­con­stances, l’intérêt de l’Empire du milieu appa­raît comme une aubaine. D’autant plus que le déficit du pays est con­séquent, et que la Ser­bie ne peut plus se per­me­t­tre de s’endetter. « A tra­vers ce mod­èle de finance­ment, la Ser­bie n’aggrave pas son déficit, car ce sont des crédits étalés sur vingt ans, à des taux peu élevés », éclaire Boži­dar Cerović, égale­ment pro­fesseur d’économie à la fac­ulté de Bel­grade. En plus de cela, la Chine investit dans des secteurs sous-dévelop­pés, et nég­ligés par le gou­verne­ment serbe. « Ce sont des investisse­ments dits ‘green­field’, des investisse­ments dans des secteurs où il n’existe pra­tique­ment rien, où tout est à faire », ajoute Boži­dar Cerović. En voulant servir ses pro­pres intérêts, la Chine sert par inci­dence ceux des Serbes. Ceux-ci voient égale­ment l’occasion de ren­forcer leurs rela­tions com­mer­ciales avec la Chine, plus par­ti­c­ulière­ment leurs expor­ta­tions, notam­ment pour les pro­duits agri­coles. « La con­séquence de tout ceci, c’est que cette forte implan­ta­tion per­met aux Chi­nois d’être bien perçus en l’Europe de l’Est et donc de faire con­tre­poids à l’Union européenne », con­clut Dra­gana Mitro­vić. Mais les intérêts diplo­ma­tiques de la Chine ne sont pas un enjeu aux yeux des Serbes. Cette nou­velle route de la soie con­stitue pour eux une manne finan­cière impor­tante. Busi­ness is busi­ness.

Les quatre plus gros investissements chinois en Serbie :

Rédac­tion et réal­i­sa­tion : Jean-Bap­tiste Menanteau
Enquête : Clé­ment Lauer, Kévin Té, Jean-Bap­tiste Menanteau

(Encadrement : CR et LG)