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A Novak Djokovic, la patrie serbe reconnaissante

Le ten­nis­man Novak Djokovic est con­sid­éré comme le héros nation­al par la pop­u­la­tion serbe, qui lui est recon­nais­sante d’avoir mod­i­fié l’im­age du pays dans le monde. Reportage.

Dans le restau­rant de l’Académie de ten­nis fondée avec son père à Bel­grade voilà qua­tre ans, Novak Djokovic est attablé avec sa femme, son fils de qua­tre mois et ses par­ents. Un de ces moments famil­i­aux pré­cieux dans la car­rière d’un sportif de haut niveau. La déco­ra­tion boisée et la dif­fu­sion de vieilles chan­sons français­es créent une atmo­sphère chaleureuse. Lui qui ne réside plus à Bel­grade depuis son démé­nage­ment à Monte Car­lo s’octroie quelques jours de vacances. Coïn­ci­dence ou pas, ce répit cor­re­spond à la fête nationale serbe, qui dure ici trois jours. Au cours de son repas, des enfants vien­nent  lui deman­der une pho­to. Il se prête au jeu. Une chemise rouge à car­reau impec­ca­ble, un sourire non feint, une sim­plic­ité. C’est la mar­que Djokovic. Être sym­pa et acces­si­ble, notam­ment pour ses compatriotes.

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La façade de la Novak Académie à Belgrade

Pen­dant ce court séjour, il prof­ite de la Novak Académie pour s’entraîner sous le regard de Bog­dan Obradovic, cap­i­taine de l’équipe serbe de la Coupe Davis. “Cette année, il va la rejouer”, nous con­firme Bog­dan. Faire rêver une nation qui en a besoin. C’est le pari qu’a réal­isé l’actuel numéro un mon­di­al du ten­nis, sou­vent cité comme le “héros nation­al” d’un pays qui aspire à amélior­er son image. Ses quar­ante-neuf titres, dont huit récom­pens­es en Grand Chelem et une médaille de bronze aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008, provo­quent un ent­hou­si­asme incon­testable chez ses com­pa­tri­otes. Bog­dan Obradovic com­pare la célèbrité de Novak Djokovic à celle de Niko­la Tes­la, sci­en­tifique dont la tête orne les bil­lets de cent dinars.

« Les Serbes ont énor­mé­ment de respect pour Niko­la Tes­la, c’est une référence majeure dans notre pays. Mais aujourd’hui, Novak Djokovic est encore plus recon­nu que lui ».

Une prom­e­nade dans les rues de Bel­grade suf­fit pour com­pren­dre. Des pho­tos étalées en grand sur la façade de build­ings, des pub­lic­ités Peu­geot à l’effigie de “Nole” dif­fusées sur les pan­neaux pub­lic­i­taires. “Tu devrais venir regarder un match dans ma mai­son ou dans n’importe quelle mai­son, tu ver­rais à quel point les gens sont impliqués émo­tion­nelle­ment, à quel point ça leur tient à coeur, racon­te Sasa Ozmo, rédac­teur pour le site web B92. Il y a une rela­tion mutuelle”. “Quand Novak gagne un grand chelem, je suis vrai­ment heureux. Mais quand il perd, je ne peux pas dormir pen­dant trois nuits, On est un peu fou avec le sport ici. Peut être qu’on a ten­dance à s’identifier à nos joueurs plus que dans d’autres pays”.


S’il a su faire aimer le ten­nis dans un pays dom­iné jusque-là par le bas­ket et le foot­ball, “Nole” a surtout réus­si à s’établir comme un héros nation­al incon­testé. Chercheur à l’université de Lille-II, Loic Tre­goures est spé­cial­isé dans le sport balka­nique:  

L’en­goue­ment n’est pas lié au sport, mais à l’ex­cep­tion­nelle réus­site de Nole. Si Djokovic fai­sait de la For­mule 1, on se pas­sion­nerait pour la For­mule 1”.

Blagueur invétéré, patri­ote investi : “Djoko” a de quoi plaire même au delà des fron­tières serbes. De ça, le pays lui en est recon­nais­sant. Novak a réus­si à con­stru­ire une nou­velle image de la Ser­bie », assure Bog­dan Obradovic. Il joue de cette com­mu­ni­ca­tion autour de lui et de la Ser­bie, il l’apprécie et s’en amuse. Le trublion des grands tournois inter­na­tionaux sait alli­er le pro­fes­sion­nal­isme et l’humour. C’est un cham­pi­on con­scient du rôle extra-sportif qui est le sien vis-à-vis de l’image de son pays dans le monde. Pour toutes les per­son­nes que nous avons inter­rogées, c’est “le meilleur ambas­sadeur dont pou­vait rêver la Ser­bie”.

Les guer­res récur­rentes, le géno­cide de Sre­breni­ca, un prési­dent accusé de crimes con­tre l’humanité. La Ser­bie, jusqu’en 2008, date du pre­mier grand tournoi rem­porté par le Serbe, avait besoin de faire par­ler d’elle pour d’autres raisons que sa trag­ique his­toire. « J’ai de la famille un peu partout dans le monde, elle a pu voir à quel point l’image du pays a changé, affirme Sasa Ozmo. C’est ça le plus impor­tant que Novak Djokovic ait fait pour nous ». Nebo­jsa Viskovic, jour­nal­iste à SportK­lub :

Avant je voy­ageais très sou­vent et je devais expli­quer à chaque fois que je ne venais pas de Sibérie mais bien de Ser­bie. Main­tenant ça a com­plète­ment changé et c’est grâce à lui”.

“Nole” est devenu numéro un mon­di­al en 2011, après avoir brisé le duo Federer/Nadal qui rég­naient jusqu’ici en maîtres sur les courts des dif­férents tournois de ten­nis. Un exploit. Il ne l’a pas fait unique­ment pour lui. Comme le rap­pelle un de ses anciens entraineurs, “il a tou­jours été préoc­cupé par les autres et a tou­jours pen­sé aux choses qu’il devait faire en dehors du court pour le pays”. A cha­cune de ses vic­toires, Novak Djokovic a tou­jours un mot pour son pays et ses com­pa­tri­otes. Lorsqu’il rem­porte pour la pre­mière fois le tournoi de Wim­ble­don en 2011, il est accueil­li à Bel­grade par plus de 100.000 Serbes venus acclamer leur nou­v­el héros.

Il fonde en novem­bre 2007 une organ­i­sa­tion car­i­ta­tive, le Novak Fund, qui devient en févri­er 2012 la Novak Djokovik Foun­da­tion, “pour aider les enfants de Ser­bie”. “A tra­vers l’éducation, beau­coup d’enfants peu­vent pren­dre part à nos efforts col­lec­tifs pour dimin­uer la pau­vreté et l’exclusion sociale”, explique son site. Après les inon­da­tions sans précé­dent qu’a subi la Ser­bie en mai 2014, il a fait don de tous ses gains rem­portés lors de vic­toire au Mas­ters de Rome aux 1,6 mil­lions de per­son­nes affec­tées par les intem­péries. Au Koso­vo, d’où sa famille est orig­i­naire, sa fon­da­tion investit dans le pat­ri­moine cul­turel, notam­ment dans le monastère de Viso­ki Decani, la plus grande église médié­vale des Balkans.

Si sa car­rière a pris un tour­nant his­torique en 2011, il le doit à une com­péti­tion par équipes, la Coupe Davis, rem­portée par la Ser­bie sous son lead­er­ship en décem­bre 2010. “En tant que cap­i­taine de l’équipe serbe je n’ai même pas besoin de l’appeler, con­fie Bog­dan Obradovic. Il vient de lui même car c’est très impor­tant pour lui”. Ce patri­o­tisme n’est pas pour autant à con­fon­dre avec un cer­tain nation­al­isme. Quand à la suite d’une finale, en 2007, un speak­er le présente comme un joueur croate, il ne s’en offusque pas et déclare:Croate ou Serbe, c’est la même chose. Lors de la Coupe du Monde de foot 2014, Novak avait récidi­vé en déclarant “La Ser­bie n’est pas qual­i­fiée, donc je vais soutenir les pays voisins, la Bosnie cer­tainement”. 

L’enthousiasme dans la pop­u­la­tion serbe n’est pour­tant pas com­plète­ment unanime. “Cer­tains ne l’aiment pas, parce qu’il y a juste­ment trop de “Novak Djokovic”, nuance Nebos­ja Viskovic. Il est partout. Prenez Air Ser­bia, la com­pag­nie a don­né le nom de Novak Djokovic à son pre­mier avion A31. Et puis il y a aus­si la jalousie. Nole ne paie pas d’impôts en Ser­bie car il vit à Monte Car­lo. Cer­taines per­son­nes ne com­pren­nent pas ça”. “On n’est pas stu­pide, avoue Sasa Ozmo. On sait que Novak ne va pas nous don­ner un meilleur salaire et amélior­er notre sit­u­a­tion économique. Mais ses vic­toires appor­tent quelque chose de posi­tif. Les Serbes ont au moins ça à célébr­er”.

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La Novak Académie compte qua­torze courts de ten­nis. Ceux en extérieur offrent une vue impren­able sur le Danube

La Novak Académie se dresse à quelques pas des rives du Danube, là où les promeneurs vien­nent admir­er la vue. Au rez de chaussée, une salle fer­mée au pub­lic mais offerte à la vue de tous par une large baie vit­rée. A l’intérieur, trô­nent les récom­pens­es et trophées d’un homme doré­na­vant con­sid­éré comme une légende de l’histoire serbe. Wim­ble­don, Aus­tralie, New York, Mia­mi, Monte Car­lo, Rome. Le pal­marès témoigne d’une recon­nais­sance inter­na­tionale indis­cutable. Entre deux coupes, un tee shirt signé de la main de Maradona. Les vic­toires d’un homme, les trophées d’une nation tout entière.

 Rédac­tion: Clé­mence Barral
Reportage:  Jim­my Dar­ras et Clé­mence Barral
(Encadrement : CR)